Le vieux de l'arbre mort

auteur : Driller_Killer

dernière modification le 2020-12-05 18:12:48


Si j’avais imaginé un seul instant ce que serait ma vie l’année où j’ai rencontré le vieux de l’arbre mort, je ne l’aurais certainement pas cru. Il faut dire que cette histoire est totalement folle. Incroyable même. Quand j’y repense, j’aime à croire que tout ceci était vraiment réel. Je prie pour que ça le soit. Je le saurai dans quelques minutes. Personne ne sait ce qu’il m’est arrivé, c’est pourquoi je vous le dis à vous, lecteurs.

Nous étions au mois de décembre, de l'année dernière. Il faisait super froid et les feuilles des arbres étaient tombées depuis longtemps déjà. Le ciel ce jour-là était gris, du gris qui laisse présager une chute de neige imminente. Mon village était désert, ce que je comprends. Les habitants préféraient rester soit au bureau, soit chez eux, emmitouflés dans un plaid et regardant la télévision. Je ne sais plus ce que je faisais. Je crois que je voulais simplement me promener dans les allées du parc municipal. J’aimais beaucoup les parterres de fleurs recouverts de paille pour protéger les plantations. Les eaux des petits lacs gelées et brillantes. J’aimais voir la buée que faisait ma respiration en me disant qu’une heure plus tard, je serais moi-même au chaud. J’aimais m’échapper de la maison, où l’ambiance était parfois tendue à cause de notre pauvreté et des difficultés qui vont avec. Mes parents se disputaient souvent. Beaucoup trop souvent. Comme ce jour-là.

Je marchais dans les allées caillouteuses du parc et j’observais les alentours, j’écoutais les oiseaux. Personne pour me déranger dans ma méditation. C’est là que je l’ai vu. Le vieux de l’arbre mort. C’était juste un p’tit vieux, assis à même le sol sous cet arbre. Il me regardait fixement et ça me mettait mal à l’aise. J’ai continué de marcher en faisant semblant de ne pas le voir. Je l’ai dépassé en essayant de ne pas le regarder, mais c’était peine perdue. Engoncé dans un petit manteau de laine, coiffé d’un bonnet troué et les chaussures plus qu’usées, il me faisait mal au cœur finalement. Il m’a parlé d’une voix un peu rocailleuse. Il devait avoir au moins cent ans… je sais que non, mais il en avait tout l’air.

— Bien le bonjour jeune fille !
— Bon… Bonjour monsieur, ai-je répondu d’un ton que je voulais assuré.
— Vous êtes la première personne que je vois aujourd’hui ! Comment allez-vous ?
— Euh… Je vais bien merci… Et vous ?
— Tout va bien pour moi mademoiselle ! Je n’en dirais pas autant de vous, j’ai l’impression ! Que cherchez-vous à fuir de la sorte ?

J’ai bloqué. Je ne savais pas quoi lui répondre. Ce monsieur aux loques douteuses, qui avait l’air d’un SDF se souciait de moi, habillée de vêtements chauds… Hallucinant.

— Je suis navré, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise Georgia… reprit-il alors, dépité.

Nous étions déjà arrivés au tutoiement !

— Comment connaissez-vous mon nom ? me suis-je exclamée alors.
— Je sais des choses jeune fille. Je sais beaucoup de choses.

Il commençait à me faire peur. J’avais envie de fuir, et en même temps, je ne sais pas pourquoi, j’avais envie de rester. Je restais immobile face à lui, comme hypnotisée.

— Que savez-vous d’autre ? ai-je continué.
— Oh… Des tas de choses. Cuisiner un poulet au citron, réparer des babioles, remplir des attestations d’assurance… Et que ça ne va pas fort pour toi…
— Mais comment ?
— Il suffit de regarder dans tes yeux. Ils sont éteints.

Cette phrase m’a arraché une larme. Ainsi donc, ça se voyait tant que ça…

— Non, ça ne se voit pas, ne t’inquiète pas ! Et non, je ne lis pas dans les pensées, je sais juste ce que tu dois imaginer.
— Je… Vous voulez quoi ?
— Moi ? Rien ! La question est plutôt, que puis-je faire pour toi ?

Alors là, les bras m’en sont tombés… J’avais envie de pleurer et de fuir, mais ce vieux… Je ne savais plus quoi penser, quoi dire… J’ai alors répondu un truc basique, pour pouvoir ensuite repartir tranquillement.

— Rien merci.
— Comme tu veux. Je te laisse donc. Mais si tu veux, tu peux me retrouver ici quand tu veux. Je dors ici tous les jours depuis des années, bien des années tu sais.
— Je ne vous ai jamais vu !
— C’est normal, je dors dans cet arbre que tu vois là, au-dessus de moi, dit-il en montrant les branches nues un peu plus haut.

Il m’a ensuite montré un drôle de trou dans le tronc, un trou invisible à l'œil car recouvert de branches entrelacées. Incroyable. J’ai mis quelques secondes pour partir. J’ai prétexté une urgence. J’ai ensuite longé le parc, perdue dans mes pensées. Ce vieux monsieur m’avait intriguée, dérangée… Et je me suis dit qu’il fallait que j’y retourne. J’ai donc fait marche arrière. Il était encore là, comme s'il savait que je reviendrais.

— Ah ! Te revoilà déjà ! Fort bien, jeune amie !
— Vous parlez souvent aux inconnus comme ça monsieur ? ai-je demandé, curieuse en m'installant un peu plus loin de lui.
— Non, pour tout te dire jeune fille, tu es la première personne à qui je parle depuis des mois.
— Pourquoi ? Pourquoi moi alors ?
— Parce que je sens que tu es celle qu’il faut aider cette année.
— Aider ?
— Tes parents, ils sont malheureux. Tu es malheureuse. Je sais comment t’aider et les aider.
— Personne ne peut rien faire.
— Crois-moi, tout va s’arranger. Tu n’as qu’à rentrer chez toi, faire comme si de rien n’était, et tu verras dans quelques jours. Ne me remercie pas, parce qu’en échange, tu vas devoir me donner quelque chose.

Alors c'était une façon de me demander de l’argent j’imagine. Il m’avait bien eue. J’étais, sur le coup, dégoûtée que l’être humain puisse en arriver à une telle manipulation pour parvenir à ses fins. Dépitée, je m’apprêtais à faire demi-tour, n’ayant rien à donner de toute façon, et ne voulant pas me laisser avoir de cette façon. La neige commençait à tomber, en petits flocons d’abord, puis en de plus gros, comme des plumes duveteuses.

— Rassure-toi, je ne te demande pas d’argent, je n'en ai pas besoin ! me lança-t-il alors, tandis que j’observais le ciel.
— Que voulez-vous alors ? m’exclamai-je, surprise.
— Un sourire, pour commencer.
— Euh… Très bien…
— Mais pas aujourd’hui. Tu me donneras ça quand tout sera arrangé. Et le plus dur : la promesse de venir me voir chaque année à cette même date. Le 24 décembre.
— Je… Je devrais pouvoir faire ça, répondis-je, presque certaine maintenant d’avoir affaire à un vieux fou.

Après ça, je suis repartie chez moi, et j’ai réussi à l’oublier. J’écoutais mes parents se disputer, comme d’habitude. Le sapin n’était même pas là cette année. Je savais aussi que nous ne ferions pas Noël. La neige n’en finissait plus. Le lendemain, effectivement, pas de cadeaux, pas de chocolat chaud au lit, rien… Je regardais dehors, la neige n’avait pas arrêté de tomber depuis la veille. D’un coup, je repensai au vieux du parc, celui de l'arbre mort. Un pincement a serré mon cœur en l’imaginant dans le froid, comme ça…

Le lendemain, j’ai été réveillée par les cris de mes parents, encore. Mais cette fois, ils étaient différents. Ils étaient joyeux ! Je suis descendue en quatrième vitesse, et ils étaient là, au pied de l’escalier, sautillant partout.

— Georgia ! Georgia ! Écoute ça ! me cria mon père en lisant un courrier. Monsieur, après rectification des données vous concernant, nous vous présentons nos plus sincères excuses pour le dossier numéro trente-sept, et nous vous attribuons ci-joint un chèque de remboursement et de dédommagement pour la gêne occasionnée.
— Ils se sont trompés, nous n’avons plus de dettes ! cria à son tour ma mère.

Je les regardais, éberluée. C’était impossible. Nous avions des années de dettes à notre actif ! D’un coup, j’ai repensé au vieux de l’arbre mort. J’ai enfilé ma veste et j’ai couru le plus vite possible. Arriver au parc ne m’a pris que dix minutes. J’ai foncé dans les allées pour retrouver son arbre. Mais une fois arrivée devant, il n’y était plus. J’ai alors repensé à ses paroles. Une visite par an…

Nous sommes aujourd’hui le 24 décembre de l’année suivant ce miracle. Je n’ai jamais rien dit à mes parents, mais je m’apprête à aller voir mon propre Père Noël, avec un grand sourire sur le visage.


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