Le cadeau de Mamita
auteur : Dreamcatcher
dernière modification le 2022-03-29 17:21:43
Iris poussa la petite barrière de fer rouillée. Rien n'avait changé, même pas les sensations. Cette impression de rentrer chez soi. Sauf qu'elle n'était plus là. Il avait fallu qu'il arrive un drame pour qu'elle se décide enfin à revenir au bout de dix ans. Les larmes venaient lui brouiller la vue rien qu'à l'évocation de Mamita, comme elle aimait l'appeler. C'était sa grand-mère mais quasiment une deuxième mère dans la mesure où elle l'avait élevée comme elle aurait élevé sa fille si elle en avait eu une. Elle n'avait eu qu'un fils, décédé en même temps que la mère d'Iris dans un accident de voiture alors qu'ils partaient en week-end en amoureux. Iris avait 2 ans.
Elle essuya les larmes qui montaient d'un revers de main avant de refermer le portillon. Il lui avait fallu partir à Paris pour faire ses études de commerce, pour trouver un bon métier et faire la fierté de sa Mamita. Par la suite, il avait été également plus facile de trouver du travail là-bas pour une grande enseigne de prêt-à-porter. La vie n'était pas la même en ville. Le temps et les années avaient filés à toute vitesse et aujourd'hui Iris ressentait avec amertume le poids de ce temps qu'elle avait négligé de lui accorder. Tout était allé très vite. Il y a moins d'une semaine encore, elles se parlaient toutes les deux au téléphone et il y a 3 jours, Mamita avait été emportée par une crise cardiaque alors qu'elle désherbait son jardin. La voisine avait alerté les secours mais ils n'étaient pas parvenus à la sauver.
A présent, de retour chez elle, il lui fallait prendre des décisions, et faire face au vide tandis que tout en ces lieux respirait encore le parfum rassurant de Mamita. Sur la table de la salle à manger, il y avait encore une tasse à café et une petite cuillère... Un bouquet de marguerites se laissait lui aussi mourir. Elle avança sa main vers la table mais suspendit son geste. Pas maintenant. Elle nettoierait plus tard. C'était trop tôt. Trop vite. Elle avança dans l'espace et fit un tour sur elle-même lentement.
Elle poussa la porte de la chambre de Mamita. Le lit n'était même pas défait. Tout était comme dans son souvenir. Elle décida alors de se rendre à l'étage pour voir son ancienne chambre. Elle emprunta l'escalier étroit qui grinça sous ses pas et prit une grande inspiration avant d'ouvrir la porte. Le bureau avait été utilisé, Mamita y avait installé ses papiers et s'était équipée d'un ordinateur pour faire ses démarches et "surfer sur internet" comme elle aimait en rire elle-même. De l'autre côté de la pièce, à droite, sous la fenêtre, le lit était toujours habillé de ses draps de jeune fille, mais propres. Le ménage avait été fait régulièrement, il n'y avait pas de poussière sur les étagères ni sur aucun de ses vieux bibelots, pourtant nombreux, elle s'en rendait compte à présent. Qu'avait-elle éprouvé chaque fois qu'elle était passée avec son plumeau ? Avait-elle effectué cette tâche comme un geste anodin, ou son coeur s'était-il serré comme celui de la jeune femme à présent tandis qu'elle effleurait du bout des doigts les souvenirs de son enfance et de son adolescence ?
Sa main légère s'arrêta soudain au contact d'une petite boîte. Pas plus grande qu'une boîte d'allumette. Une petite boîte en bois décorée de motifs pyrogravés par ses soins, surmontée d'un couvercle aux charnières de métal doré. Elle se souvenait très bien de cette boîte. C'était un cadeau de fête des mères. Un cadeau qu'elle avait offert à Mamita lorsqu'elle était enfant. Elle revoyait l'émotion dans ses yeux et son sourire quand elle lui avait offert. À l'origine, elle contenait une paire de boucles d'oreilles, deux petites perles montées en clous. Deux petites perles qui n'avaient depuis jamais quittées les oreilles de Mamita. La boîte était juste devenue décorative. Mais aujourd'hui elle se trouvait là, dans son ancienne chambre... C'était bizarre, surtout sachant que Mamita n'aimait pas beaucoup déplacer les objets une fois leur place attribuée. Elle souleva le coffret dans ses mains et sentit aussitôt que quelque chose voyageait dedans. Elle ouvrit délicatement le couvercle et arrondit la bouche de surprise. À l'intérieur se trouvait une clef. Elle la prit entre deux doigts et commença à l'examiner, la tournant dans tous les sens. C'était une clef assez simple en vérité, en métal, assez grossière et d'apparence solide. Iris était sûre de l'avoir déjà vue.
Soudain son regard s'illumina. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? C'était la clef de la remise ! Cette petite pièce sombre qui ne servait pas à grand-chose en vérité à part peut-être à stocker des décorations de Noël ou des vieux papiers administratifs. Pourquoi se trouvait-elle là aujourd'hui ? Ce n'était certainement pas un hasard. Depuis cette petite boîte bien particulière, Mamita lui adressait un message très personnel à n'en pas douter. Le coeur d'Iris fit un bond dans sa poitrine. Elle serra fort la clef dans sa main et descendit les escaliers quatre à quatre pour filer vers la pièce concernée. À présent devant la porte, elle se trouva la bouche sèche. Ses mains tremblaient de peur et d'excitation. Elle tenta pour la forme d'utiliser la poignée mais la porte était bel et bien fermée. Elle introduisit alors la clef dans la serrure et put vérifier qu'elle était bien destinée à ouvrir cette pièce. La porte tourna enfin sur ses gonds dans un léger grincement. Il faisait sombre, Iris actionna un interrupteur destiné à ouvrir un volet roulant et plaqua une main devant sa bouche quand la lumière inonda la pièce graduellement...
Partout sur les murs étaient accrochés ses dessins d'enfant : des princesses, des fées, des licornes, des châteaux dans les nuages, des arc-en-ciels,... Et cet espace vide qu'elle avait devant elle au milieu du souvenir de ses rêves, prenait à présent un sens très spécial. Elle avait toute la place libre pour créer sa vie, la façonner selon ses envies, ses désirs, ses espoirs.
Si Iris avait laissé de côté ses rêves un peu fous, elle réalisait que Mamita n'avait jamais cessé d'y croire. Elle serait toujours là pour lui donner l'impulsion, la force d'avancer envers et contre tout. Ce jour-là en son for intérieur, elle pria de toutes ses forces et remercia et se promit de faire de son mieux, elle ne savait pas encore comment, mais elle y arriverait. Elle allait vivre la vie de ses rêves et s'en donner les moyens. Pour toujours elle se souviendrait de croire en elle et en des jours meilleurs, jusqu'au bout.